© Alexandra Seha

Marie-Laure DeratHistoire et archéologie de l’Éthiopie

Médaille d’argent du CNRS

Directrice de recherche CNRS, historienne et archéologue au sein du laboratoire Orient et Méditerranée (CNRS / Collège de France / EPHE / Sorbonne Université / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) au sein de l’équipe Mondes sémitiques, Marie-Laure Derat s’attache à reconstituer l’histoire du royaume éthiopien à la période médiévale, entre le VIIIe siècle et le début du XVIe siècle. Croisant histoire et archéologie, elle cherche ainsi à comprendre l’évolution territoriale de ce royaume, les processus de christianisation et les relations aux autres religions, ainsi que l’émergence d’une dynastie chrétienne considérée encore aujourd’hui comme sainte, les Zagwé. Dans une Éthiopie aujourd’hui en pleine guerre civile, les sites de Lalibela et ses églises taillées dans la roche, et de Maryam Nazret au Tigré forment ses terrains d’enquête. Renouvelant l’approche traditionnelle de cette période par la découverte et l’étude de manuscrits d’époque, et par les premières fouilles jamais réalisées à Lalibala, elle est aussi investie dans la valorisation du patrimoine éthiopien.

Marie-Laure Derat voulait être journaliste reporter, elle enquête aujourd’hui sur le passé. Entrée au CNRS en 2000, elle rejoint de 2008 à 2012 le Centre français des études éthiopiennes à Addis-Abeba (CFEE, CNRS / MEAE). « Ces quatre années m’ont permis d’ouvrir de nouveaux terrains, de collaborer avec les collègues éthiopiens, et de bâtir une équipe pluridisciplinaire ». Elle étudie ainsi, depuis plus de vingt ans, les processus de christianisation, les transformations religieuses et politiques, et les dynamiques territoriales du royaume éthiopien du VIIIe au XVIe siècle. 

De 2009 à 2021, elle dirige la mission historique et archéologique de Lalibela1, complexe d’églises rupestres longtemps réputé comme la capitale du royaume. « Loin d’être un simple site archéologique, Lalibela comme l’ensemble des objets qu’il abrite sont au cœur de mes travaux, et de ceux de mon équipe ». Croisant les approches — en histoire des textes, archéologie, liturgie, ou géologie —, elle montre l’importance de ce site, véritable carrefour de cultures. Depuis 2018, elle investit également un autre site, Maryam Nazret au Tigré, vestiges d’une cathédrale du XIIe siècle et d’une cité médiévale née autour des VIIe-VIIIe siècles. « Ces lieux sont cruciaux pour comprendre la transition entre la fin de la période antique et la période médiévale, les processus de christianisation, l’ouverture de l’Éthiopie sur le reste du monde et en particulier son voisin égyptien, dont elle était proche pour les échanges aussi bien économiques que culturels ».

« Le terrain est essentiel pour prendre la mesure des espaces considérés, mais aussi pour combler les vides de la documentation écrite. »

La guerre civile, qui frappe l’Éthiopie depuis 2020, a aussi changé son rapport au terrain. « Au-delà des recherches personnelles, la guerre engendre une forte préoccupation pour les collègues et l’ensemble de la population éthiopienne, victimes du conflit. Il faut trouver les moyens de les mettre en sûreté, de construire un accompagnement, d’inventer de nouvelles manières de soutenir les recherches ». Depuis, appelant ainsi à une reconnaissance de l’histoire africaine comme partie intégrante du savoir commun, elle se consacre activement à la formation de professionnels du patrimoine, d’étudiants et d’artisans locaux2

« Engager des recherches sur l’Éthiopie, c’est ouvrir nos horizons, c’est prendre conscience qu’au-delà de notre manière de penser le monde, d’autres manières d’envisager le passé existent, dans lesquelles les sociétés européennes sont absentes. »

Après la médaille de bronze du CNRS en 2010, cette médaille d’argent « vient récompenser non pas mon travail, mais celui de tous les chercheurs, étudiants, et de tous les professionnels en Éthiopie sans qui je ne pourrais enquêter ».

Notes

1. Ces travaux ont nourri le projet ANR Christianisation et interactions religieuses en Éthiopie (2017–2022), et se poursuivent avec le programme Sustainable Lalibela, qui deviendra en 2025 Sustainable Heritage in Ethiopia.

2. Avec Marie Bridonneau, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre, géographe spécialiste des espaces et des sociétés impactées par les politiques de patrimonialisation, et Kidane Ayalew, dans le cadre du projet Sustainable Lalibela.