Portrait de Manuela Zoonens, directrice de recherches à l'origine d'un brevet

Interview Biologie

Comment valoriser les résultats de ses recherches ? Manuela Zoonens, directrice de recherches au Laboratoire de biologie physico-chimique des protéines membranaires, en a fait l'expérience en déposant un brevet sur ses travaux.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Manuela Zoonens, je suis directrice de recherche au Laboratoire de biologie physico-chimique des protéines membranaires (LBPC-PM, UMR 7099 CNRS/Université Paris Cité).

Quel a été votre parcours ?

En 2004, après avoir soutenu ma thèse sur les amphipols, sous la direction de Jean-Luc Popot, à l’Institut de biologie physico-chimique (IBPC) dans le même laboratoire où je travaille aujourd’hui, je suis partie deux ans en contrat post-doctoral à Yale, avant de revenir en France pour un autre post-doctorat de deux ans avec Bruno Miroux à l’hôpital Necker. J’avais ensuite décroché un contrat post-doctoral de cinq ans à l’Université de Cambridge, mais je l’ai interrompu après un an car j’ai été recrutée en 2010 au CNRS, au sein de l’IBPC.

Pourquoi avoir choisi le CNRS ?

J’ai choisi le CNRS parce que c’était une évidence, je n’ai jamais connu autre chose que la recherche fondamentale ! Depuis ma licence, il était clair pour moi que j’irai le plus loin possible dans mes études et, après tout ce parcours, que je me présenterai au CNRS.

Quels sont vos sujets de recherche ?

Depuis 2014, après le départ de Jean-Luc Popot à la retraite, j’ai repris l’animation de son sujet de recherche qui était celui sur lequel j’avais mené mes travaux de thèse. Ce projet, à l’interface entre la chimie et la biologie, consiste à concevoir et développer des polymères amphiphiles, c’est-à-dire des polymères hydrophiles et hydrophobes, appelés « amphipols », dont les propriétés tensio-actives sont intéressantes pour manipuler les protéines membranaires.
Les recherches sur les amphipols avaient débuté au milieu des années 1990, quelques années avant le début de mon DEA en 1999. C’était alors la première fois que des polymères étaient utilisés à la place des détergents pour maintenir des protéines membranaires en solution. Mais, au cours des années 2000, les amphipols restaient des molécules exotiques, peu compatibles avec la cristallographie aux rayons X, l’approche de biologie structurale la plus en vogue à cette époque pour déterminer à l’échelle atomique la forme tri-dimensionnelle des protéines.
Trois éléments concomitants les ont cependant rendus populaires à partir des années 2010. Tout d’abord, une première commercialisation des amphipols par la compagnie états-unienne Anatrace, qui les a démocratisés auprès d’autres laboratoires de recherche que le nôtre et ceux de nos collaborateurs. Ensuite, le fait que la cryo-microscopie électronique ait pris le devant de la scène dans le domaine de la biologie structurale car les amphipols sont non seulement compatibles avec cette technique mais peuvent aussi améliorer de façon significative les images de cryo-microscopie dans certains cas par rapport aux détergents. Enfin, d’autres laboratoires de recherche ont développé des polymères amphiphiles concurrents, appelés « SMA », contribuant ainsi à démocratiser l’utilisation des polymères pour l’étude des protéines membranaires. Au cours de mes récents travaux, j’ai cherché à décrypter la signature chimique qui distingue les SMA des amphipols afin de comprendre leur différence de propriétés vis-à-vis des membranes biologiques.

Pourquoi avez-vous déposé votre brevet ?

Entre 2016 et 2019, j’ai encadré une étudiante en thèse, Anaïs Marconnet, avec le soutien de Fabrice Giusti, un ingénieur de recherche en chimie au laboratoire. Nous travaillions à l’époque sur des amphipols bien particulier, que l’on a nommés les « CyclAPols ». Ces polymères sont des amphipols qui présentent des propriétés solubilisantes, obtenues en remplaçant les chaînes grasses linéaires par des chaînes cycliques. Ces propriétés permettent ainsi d’extraire les protéines et leurs lipides associés de l’environnement natif, qui est la membrane, sans les dénaturer.
Avec l’aide du service Partenariat et valorisation (SPV) de la délégation, en particulier Sonia Caravaca et Anna Sargsyan-Delaval, nous avons d’abord effectué une déclaration d’invention, qui a ensuite été envoyée au siège du CNRS, à l’Université Paris Cité et à la SATT Île-de-France Innov, devenue par la suite Erganeo. Anaïs et moi avons alors présenté nos recherches à la SATT en présence du responsable en Propriété Intellectuelle, Yannick Pereira, afin de protéger nos recherches par un brevet. Celui-ci a été officiellement déposé le 3 décembre 2018 et constitue le quatrième brevet sur les amphipols dans le laboratoire.

Quelles ont été les suites au dépôt de ce brevet ?

J’ai été contactée à l’hiver 2021 par Élodie Mathonnet de la SATT concernant les possibilités de transfert industriel de notre brevet. Après quelques échanges, Élodie a pris contact avec les entreprises qui commercialisent des molécules tensio-actives (détergents et/ou polymères). Nous avons fourni nos molécules à ces entreprises pour faire des essais pendant l’été 2021 et le début de l’année 2022, jusqu’à concéder une co-licence exclusive en avril 2022 à deux entreprises européennes : l’allemande Cube Biotech et la néerlandaise Orbiscope. Par la suite, la commercialisation de nos CyclAPols a débuté pendant l’été 2022 auprès des laboratoires de recherche.

Qu’avez-vous aimé dans le dépôt de brevet ?

Mes échanges avec nos différents interlocuteurs. D’une part avec le SPV, qui m’a aiguillée vers les bonnes personnes. Et d’autre part avec ceux de la SATT, très efficaces, réactifs et professionnels, qui ont par ailleurs joué de diplomatie entre les différentes entreprises sollicitées pour la prise de licence sur le brevet.

Quelles sont selon vous les qualités requises pour déposer et commercialiser un brevet ?

En tant que scientifique, il y a une vraie difficulté à s’approprier le vocabulaire technique et les compétences juridiques pour ce faire. C’est pourquoi il faut savoir s’entourer de personnes compétentes pour nous accompagner dans une telle démarche.

Contact

Manuela ZOONENS
Directrice de recherches au Laboratoire de biologie physico-chimique des protéines membranaires