Françoise Briquel-Chatonnet, une antiquisante à l'Académie des Belles-Lettres

Interview Sciences humaines et sociales

Le vendredi 21 mai 2021, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a élu académicienne Françoise Briquel-Chatonnet, historienne du Levant et du Proche-Orient anciens et du monde syriaque au laboratoire Orient et Méditerranée (CNRS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne / Sorbonne Université / Collège de France / EPHE – PSL).

Pour en savoir plus long sur son parcours, elle nous a fait l’honneur de nous accorder un entretien biographique.

Passion : Antiquité(s)

Son élection au fauteuil de feu Marc Fumaroli est le fruit d’un travail d’une vie. Sa passion pour l’Antiquité remonte à son enfance : « Je me rappelle encore des pages sur l’Égypte dans mon livre d’Histoire en 6e ! », confie-t-elle pour retracer son amour pour cette période historique. Au collège, elle apprend simultanément le latin et le grec, puis, entrée à l’École normale supérieure de Paris, y découvre l’hébreu et l’araméen. La connaissance de cette dernière langue déterminera l’un de ses sujets de prédilection : les mondes syriaques. En effet, la Bibliothèque nationale de France lui confie le soin de cataloguer ses manuscrits syriaques, écrits en araméen, langue sacrée des Églises du Proche-Orient.

Dès lors, elle s’efforce de suivre et cartographier les traces des communautés syriaques, cette mosaïque d’Églises chrétiennes qu’on nomme trop souvent, injustement aux yeux de Françoise Briquel-Chatonnet, les « chrétiens d’Orient », et qui s’étendent du Liban au sud de l’Inde en passant par l’Iran. Sa formation initiale à l’épigraphie et son intérêt pour l’étude matérielle des écritures – à notre arrivée dans son bureau, elle recopie encore des inscriptions phéniciennes sur un calque transparent) – la conduisent à travailler aussi bien dans les musées qu’en « arpentant des terrains où la voiture passe difficilement ».

 

Sur les traces des syriaques

Cependant, l’instabilité régionale met en péril ses recherches. D’une part, les conflits récurrents l’empêchent de se rendre sur place. Ainsi, depuis le début des hostilités en 2011, l’historienne ne peut plus se rendre en Syrie, où les traces de la présence syriaque sont pourtant nombreuses. D’autre part, les combats détruisent une partie des documents ; en Syrie, la majorité des inscriptions syriaques se trouvent dans la région d’Idlib, enclave aujourd’hui assiégée par le régime syrien ; en Irak, les troupes de Daech ont brûlé des manuscrits, tandis que le frère dominicain Najeeb Michaeel parvenait à en transporter certains de la ville de Qaraqosh, envahie par l’État islamique, à Mossoul.

Face à de telles menaces, les patriarcats syriaques ont d’abord surmonté la méfiance qu’ils avaient envers toute personne venue consulter leurs collections — qui donnait toujours « l’impression que leurs manuscrits sont des trésors dont des photos ôteraient la valeur », selon Françoise Briquel-Chatonnet. Ils ont aussi dû dépasser les conflits de légitimité avec les États pour la propriété de ces manuscrits de leur tradition, en réalisant l’importante de la numérisation des archives. « On pousse les responsables des bibliothèques de manuscrits à déposer des copies ailleurs dans des endroits sûrs distincts des lieux de conservation », explique l’historienne du CNRS. Le mouvement est en cours, selon des rythmes variés.

 

L’Antiquité non gréco-latine : mal aimée de l’université, adorée du public

Ces difficultés d’accès aux terrains se doublent, en France, d’un certain nombre de préjugés d’universitaires réticents à l’étude des cultures antiques autres que latine et grecque. Selon Françoise Briquel-Chatonnet, l’histoire ancienne a trop souvent été réduite à celle de la Grèce et de Rome, auxquelles pouvaient éventuellement s’ajouter l’égyptologie, voire l’assyriologie. « Pendant longtemps, regrette-elle, on ne pouvait enseigner d’autres langues anciennes qu’à l’Institut catholique ou dans des écoles juives. Il est dommage que l’université française ne sache pas, comme les autres universités européennes, susciter elle aussi des vocations dans ces domaines ». Les choses semblent néanmoins évoluer dans le bon sens ; en témoigne la création en 2020 par Sorbonne Université de l’École des langues anciennes (Elasu), à laquelle collabore activement le laboratoire Orient et Méditerranée.

À l’inverse, la médiation scientifique a toujours très bien opéré auprès du grand public, avide de savoirs sur les mondes de la Bible et sur le Proche-Orient. À titre d’exemple, l’historienne se rappelle une table ronde, en 2003, portant sur les inscriptions syriaques, un sujet a priori très pointu, à laquelle cent personnes avaient tout de même assisté. Depuis toujours, elle s’efforce de transmettre ses travaux au grand public. Avec l’aide des éditions Les Belles-Lettres, elle a ainsi pu  créer avec une collègue, en 2017, la collection « Bibliothèque de l’Orient chrétien », qui recueille des traductions françaises de textes en syriaque, arménien, géorgien, éthiopien et bientôt copte et arabe ; la collection compte déjà six volumes et a vocation à se développer largement.

Des projets, l’historienne n’en manque pas. En plus de diriger la Société d’études syriaques, de poursuivre le catalogage des manuscrits syriaques de Charfet au Liban, de publier le recueil des inscriptions de Syrie qui avaient été relevées avant la guerre et d’écrire un manuel d’épigraphie phénicienne, elle s’attelle à l’organisation du prochain symposium international d’études syriaques et arabes chrétiennes. Pour y assister, rendez-vous en juillet 2022 à l’Inalco !

 

Pour en savoir plus : « Une historienne à la poursuite des manuscrits perdus »  (CNRS Le Journal)

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Françoise BRIQUEL-CHATONNET
Historienne