5 jeunes chercheuses distinguées par le prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco

Distinction

Chaque année, la Fondation L'Oréal récompense l’excellence de la recherche féminine en France et à l’international à travers plusieurs distinctions. En 2021, 35 jeunes chercheuses françaises viennent de recevoir une bourse Jeunes Talents France for Women in Science, dont cinq sont rattachées à des laboratoires de la circonscription Paris-Centre.

Lauren Reynolds, post-doctorante au Laboratoire plasticité du cerveau (CNRS/ESPCI-PSL)

© Jean-Charles Caslot
© Jean-Charles Caslot

Lauren Reynolds est née et a grandi près de Boston, aux États-Unis. Issue d’un milieu ouvrier, elle est la première de sa famille à suivre des études universitaires.

La science n’est pas sa vocation première, puisqu’elle suit d’abord une formation d’art pour étudier la photographie. Tout bascule pour elle lors d’un cours de psychobiologie durant lequel un professeur doctorant propose aux élèves de manipuler un cerveau humain. Marquée par « l’impressionnante sensation de tenir l’organe qui nous anime » dans ses mains, Lauren Reynolds repense alors aux troubles psychiatriques qui ont touché ses proches. L’envie de trouver leurs causes et de les soigner plus efficacement suscite sa réorientation vers les neurosciences comportementales.

Après l’obtention de son diplôme, Lauren Reynolds travaille en tant qu’assistante dans la recherche pendant deux ans, faute de position disponible en tant que doctorante. Elle intègre finalement l’université McGill de Montréal pour faire sa thèse. Elle s’intéresse au développement des réseaux neuronaux pendant l’adolescence et à l’influence des expériences vécues à cette période sur leurs trajectoires. Plus précisément, Lauren Reynolds analyse comment l’abus de drogues à un âge jeune affecte le développement des réseaux neuronaux qui sous-tendent des comportements dans les domaines de la motivation, des émotions ou de la prise de décisions et comment ces comportements persistent à l’âge adulte.

Regrettant que les communications sur les différents succès des femmes scientifiques soient si peu nombreuses, Lauren Reynolds espère que leur travail sera plus amplement traité dans le futur, pour construire « une société plus égalitaire dans les domaines scientifiques» et encourager la prochaine génération de jeunes femmes en science.

Depuis l’obtention de son doctorat fin 2018, elle s’est installée en France et poursuit ses travaux dans une perspective plus fonctionnelle, avec pour objectif de non seulement comprendre les origines développementales des maladies psychiatriques, mais aussi de trouver de nouvelles pistes pour développer thérapies médicamenteuses plus efficaces.

Anaïs Abramian, post-doctorante à l'Institut Jean le Rond d'Alembert (CNRS/Sorbonne Université)

© Jean-Charles Caslot
© Jean-Charles Caslot

Originaire de Lyon, Anaïs Abramian grandit au sein d’une famille d’origine arménienne. C’est en classe préparatoire qu’un professeur lui transmet sa passion pour la physique et la mécanique, notamment au travers des visites du Palais de la découverte ou de l’accélérateur de particules au CERN.

Après avoir intégré l’École normale supérieure de Lyon, Anaïs Abramian s’oriente vers la physique expérimentale. Depuis sa thèse, ses recherches portent sur la modélisation des écoulements naturels : l’eau dans une rivière, l’effondrement d’un sol ou encore le glissement lent d’un glacier. Ces systèmes naturels dépendent de paramètres géologiques, climatiques, ou encore topographiques, qui varient d’un site à l’autre.

Comme il est difficile d’isoler l’influence d’un paramètre uniquement à partir d’observations de terrain, la chercheuse mène en laboratoire des expériences dans des conditions contrôlées et simplifiées. Pour modéliser ces phénomènes, elle s’appuie sur la mécanique des fluides, la physique statistique et celle des milieux granulaires. Les systèmes étudiés impliquent en effet souvent du sable ou des galets, soit des « milieux granulaires » se comportant à la fois comme un solide et comme un fluide.

Le travail d’Anaïs Abramian, désormais en post-doctorat au sein de l’Institut Jean Le Rond d’Alembert, consiste à proposer un modèle capable de prédire ce comportement si particulier. À l’heure où les catastrophes naturelles se multiplient, l’enjeu est de taille : une meilleure compréhension de ces phénomènes naturels permettra la mise en place d’aménagements durables sur le territoire.

Anaïs Abramian œuvre donc pour ces sujets d’utilité publique qui lui tiennent à cœur. L’obtention d’un poste permanent dans la recherche n’est pour autant pas chose aisée. Heureusement, l’arrivée récente de femmes dans son laboratoire actuel, dont plusieurs qui ont été récompensées pour leurs travaux de recherche, l’encourage à poursuivre ses efforts.

Marina Katava, post-doctorante au Laboratoire de biochimie théorique (CNRS)

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​© Jean-Charles Caslot

Née en Bosnie-Herzégovine, Marina Katava connaît durant sa jeunesse près d’une décennie de mouvements : sa famille, membre de l’ethnie croate, a été déplacée lors des guerres de Yougoslavie. Avec ses proches, elle s’installe finalement à Zagreb, en Croatie, où commence son parcours universitaire, à la Faculté des sciences.

Elle découvre la biophysique computationnelle lors d’une conférence. « La perspective de placer une molécule dans un ordinateur et d’en déplacer des atomes me semblait être une technologie extraterrestre », se souvient la chercheuse.

Passionnée par cette discipline combinant biologie, physique, chimie et informatique, Marina Katava s’installe à Paris pour réaliser son doctorat, puis à Austin, au Texas, pour son premier post-doctorat. Ses recherches visent à comprendre les principes de l’encodage de l’information dans les systèmes biologiques. L’ADN, en particulier, offre une incroyable densité de stockage : un kilogramme d’ADN pourrait contenir toutes les données générées entre aujourd’hui et l’année 2040.

La technologie est actuellement limitée par la capacité de créer de longues chaînes de séquences spécifiques. Le projet de Marina Katava vise à déterminer les conditions nécessaires à la formation de ces séquences longues et ordonnées. À long terme, cela signifierait que nos clés USB et autres disques durs pourraient être remplacés par des molécules d’ADN.

Convaincue que les femmes ont un rôle majeur à jouer dans la recherche, la jeune chercheuse est aussi consciente des difficultés qu’elles doivent surmonter : « Nous devons constamment nous adapter aux règles d’un jeu où la majorité des joueurs et les arbitres sont des hommes ». La jeune chercheuse a elle-même vécu l’expérience d’être sous-estimée, perdant des occasions de collaboration. Contrainte de redoubler d’efforts pour prouver ses compétences, elle regrette que l’environnement scientifique soit encore majoritairement masculin : « les remarques faites aux femmes créent une charge mentale supplémentaire, là où les hommes peuvent se concentrer uniquement sur le fond de leur travail ».

Alice Marcotte, doctorante au Laboratoire de physique de l'ENS (CNRS/ENS-PSL/Sorbonne Université/Université de Paris)

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​​© Jean-Charles Caslot

Alice Marcotte est originaire de Reims. Malgré deux parents professeurs de lettres, elle choisit – comme trois de ses quatre sœurs – une filière scientifique et entame ses études par des classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Issue d’une famille composée majoritairement de femmes et toujours soutenue dans ses choix de carrière, elle ne pense pas que le genre soit un obstacle pour réussir.

Son parcours en témoigne : après ses classes préparatoires, elle intègre avec succès l’École polytechnique sur le plateau de Saclay, avant de revenir à Paris pour suivre le master 2 de physique de l’Ecole Normale Supérieure-PSL. Elle y poursuit actuellement sa troisième année de doctorat, étudiant la nanofluidique, une branche de la nanophysique. Alice Marcotte se focalise ainsi sur les propriétés des écoulements à l’échelle du nanomètre, une unité de longueur comparable à trois molécules d’eau côte à côte.

Sa thèse s’intéresse à la physique des écoulements nanofluidiques, dont une meilleure compréhension devrait permettre de concevoir des membranes constituées de millions de pores minuscules, et  adaptées à la filtration, à des fins industrielles. Comme les pores peuvent être conçus de manière à rejeter certaines espèces chimiques, comme le sel, tout en laissant passer l’eau, la désalinisation est un bénéfice potentiel de ces recherches qui pourrait s’avérer précieux pour garantir un plus large accès à l’eau potable face aux dérèglements climatiques, particulièrement dans les régions où cette ressource se fait rare.

Le développement de membranes performantes pourrait aussi jouer un rôle dans la production d’énergie osmotique. Il s’agit de l’énergie naturelle issue des différences de concentration en sel, notamment dans les estuaires, où les fleuves d’eau douce se jettent dans l’eau salée de la mer.

Finalement, la doctorante est convaincue qu’être une femme, dans la vie comme en science, ne devrait pas être un handicap. Au contraire, les femmes scientifiques « apportent une diversité© de points de vue et d’intérêts nécessaires à une recherche inclusive » confie-t-elle.

Laura Scalfi, post-doctorante au Laboratoire physicochimie des électrolytes et nanosystèmes interfaciaux (CNRS/Sorbonne Université)

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​​© Jean-Charles Caslot

De culture franco-italienne, Laura Scalfi a étudié au lycée français Stendhal, à Milan, avant de rejoindre Lyon pour ses classes préparatoires.

Passionnée de chimie, elle intègre l’École normale supérieure-PSL et effectue des stages dans des laboratoires de recherche à Londres ainsi qu’à San Francisco. Associant ses compétences en informatique et programmation à son goût pour la physico-chimie, elle étudie la matière à l’échelle atomique par la simulation moléculaire, une sorte de microscope surpuissant sur ordinateur basé sur des modèles théoriques ou empiriques.

Elle développe ces simulations numériques et étudie les phénomènes qui se produisent à l’interface entre électrodes et électrolytes. Ceux-ci déterminent les performances de dispositifs électrochimiques, notamment de batteries électriques et de supercondensateurs utilisés dans le stockage et la production d’énergie. Ces travaux pourront avoir des impacts dans de nombreux domaines, comme l’énergie ou les problématiques de filtration. En 2021, elle obtient son doctorat en chimie physique et théorique à Sorbonne Université.

Durant son parcours, ses sélections en Olympiades nationales puis internationales de la chimie ont été l’occasion pour elle de découvrir d’autres jeunes chimistes et le monde de la recherche scientifique en général. Elle s’investit désormais à son tour auprès des nouvelles générations, par la préparation de ces Olympiades, mais aussi par l’enseignement à l’université et l’accompagnement de stagiaires. Par son implication, elle espère notamment « montrer aux jeunes filles que d’autres voies sont possibles, au-delà du cadre qu’elles connaissent au quotidien ». Bien au-delà de ses recherches, elle s’intéresse à la question climatique. Son rêve : que la science puisse proposer des solutions concrètes pour ralentir, voire arrêter, le dérèglement qui affecte le climat.

En vue de poursuivre son projet scientifique et sa formation, Laura Scalfi s’installera en septembre à Berlin pour son postdoctorat.