© Jeremy Kuhn

Jeremy KuhnPsycholinguistique

Médaille de bronze du CNRS

Linguiste à l’Institut Jean-Nicod (IJN, CNRS / EHESS / ENS-PSL), Jeremy Kuhn est un spécialiste des langues des signes. Il s’intéresse à la façon dont les langues construisent le sens, en particulier dans des contextes visuels et gestuels. Ses premiers travaux ont proposé une nouvelle vision de la manière dont les langues des signes intègrent l'espace dans la grammaire, montrant que l'emplacement des signes dans l'espace est médiatisé par une couche grammaticale, à l’image du genre en français. Il explore également des thèmes variés — anaphore, négation, structure du temps — dans plusieurs langues signées et dirige actuellement un projet sur les langues des signes mayas au Guatemala. Au-delà de ce travail interlinguistique, il contribue également à des recherches sur la communication chez les animaux non humains. Son approche, à la croisée de la linguistique théorique, de la cognition et de l’anthropologie, met en lumière des systèmes linguistiques méconnus tout en révélant la richesse et la plasticité du langage.

Jeremy Kuhn explore la manière dont les langues, signées comme parlées, expriment le sens à travers des structures parfois très différentes. Formé aux États-Unis, il rejoint l’Institut Jean-Nicod à Paris, d’abord comme postdoctorant, puis comme chercheur en 2018, au sein du groupe de recherche sur les langues des signes. 

Les langues des signes possèdent plusieurs propriétés uniques, notamment l’utilisation de stratégies iconiques pour exprimer le sens. L'étude de ces propriétés et de leur interface avec le reste de la grammaire permet de mieux comprendre la capacité langagière humaine dans son ensemble.

Il s’intéresse notamment à la variation sémantique à travers les langues parlées et les langues des signes. « Pour toute phrase dans une langue X, il existe un moyen de la traduire dans une langue Y. Cependant, le sens des parties (c'est-à-dire les mots) et la manière dont elles sont assemblées peuvent différer considérablement entre les deux langues, même si le sens qui en résulte est le même ». Tout comme deux puzzles, qui représentent la même image une fois assemblés, peuvent avoir des pièces de formes radicalement différentes. « La nature et la ‘forme’ de ces pièces sont souvent le domaine de la variation sémantique ».

Depuis 2023, il codirige un projet de documentation des langues des signes mayas au Guatemala. Jusqu’ici très peu décrites, ces langues sont en voie de grammaticalisation, intégrant des gestes culturels locaux utilisés par la communauté entendante environnante. « À ce jour, nous avons effectué trois missions dans les hautes terres du Guatemala, où nous avons travaillé avec 29 signeurs de différents âges, dans des villages situés dans plusieurs états ». 

Plus récemment, il mène des recherches expérimentales sur les fondements neuronaux du traitement des langues des signes. « L'étude consiste à l'enregistrement EEG dans un paradigme dans lequel les sujets regardent des textes étendus de langue des signes française ». Dans le prolongement de ses travaux, Jeremy Kuhn étudie aussi la linguistique animale, appliquant les outils de la linguistique formelle à la communication non humaine.

En développant des concepts linguistiques qui peuvent être appliqués aussi bien à la communication humaine qu'à la communication non humaine, on espère à terme mieux comprendre comment nos propres capacités de communication se situent dans ces systèmes d'un point de vue évolutif.

Parmi ses apports théoriques notables figure son travail sur la concordance négative (par exemple : « Personne n’a jamais rien dit ») : le chercheur propose une solution innovante à ce phénomène sémantique complexe, en montrant qu’un même élément peut avoir plusieurs effets à différents niveaux de la structure logique.

Animé par le goût des énigmes linguistiques et la curiosité pour la diversité des structures grammaticales, il insiste : « Les données présentent souvent quelque chose qui me laisse perplexe. C’est souvent la clé d’une nouvelle piste de recherche ».