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Des « monstres » marins au temps des dinosaures

Dossier
Paru le 19.06.2023
L’océan, un monde à découvrir

Des « monstres » marins au temps des dinosaures

24.11.2021, par
Plésiosaure pourchassant un banc de bélemnites (mollusques céphalopodes).
Ichthyosaures, plésiosaures, mosasaures et autres super-prédateurs peuplaient les mers il y a plus de 60 millions d’années. Que sont ces reptiles, souvent appelés à tort « dinosaures marins » ? Visite de la galerie des « monstres » avec trois des auteurs de « La mer au temps des dinosaures ».

Combien de reptiles marins vivaient-ils au Mésozoïque, alors que les dinosaures régnaient sur les terres ? Et aujourd’hui, combien en dénombre-t-on ?
Nathalie Bardet1. Durant le Mésozoïque (-252 à -66 millions d’années), il y avait au moins cinq cents espèces appartenant à une dizaine d’ordres de reptiles. D’ailleurs, on en découvre de nouveaux tous les ans. Actuellement, parmi les reptiles dits « marins », on ne compte qu’un crocodile, un lézard, quelques tortues et des serpents.

Le mot vient de reptile, « qui rampe » en latin. Les ancêtres des reptiles marins étaient terrestres, n’est-ce pas ?
N. B. Oui tous. Puis, au Mésozoïque, ils se tournent vers la mer, comme l’ont fait bien plus tard à l’ère tertiaire des mammifères tels les cétacés et les siréniens. Ce retour se produit à la suite de la crise Permien-Trias. Survenue il y a 252 millions d’années, elle voit 95 % des espèces animales disparaître. À la faveur de cette extinction, les reptiles se « jettent à l’eau » !
 
Alexandra Houssaye2. Comme toutes les crises, la crise Permien-Trias laisse des niches écologiques vacantes. Il n’y a plus guère de prédateurs ni de compétiteurs. Plus facile de se diversifier et de proliférer dans ces conditions ! Suite à cette extinction, il y a une phase de radiation et l’on voit très vite émerger de nouvelles espèces.

On suppose que les placodontes se nourrissaient en fouissant au fond des mers à la recherche d’invertébrés.
On suppose que les placodontes se nourrissaient en fouissant au fond des mers à la recherche d’invertébrés.

Sait-on quels étaient leurs ancêtres terrestres ?
Peggy Vincent3. Pas toujours. Par exemple, lorsque le groupe emblématique des ichthyosaures apparaît dans le registre fossile, ces animaux sont déjà si modifiés que l’on a du mal à trouver leur ancêtre terrestre.
 
A. H. Pour certains groupes, au contraire, on voit bien l’évolution. Par exemple, les premiers mosasaures ressemblaient à des varans. Ils avaient encore des pattes à la place des palettes natatoiresFermerPartie terminale d'un membre, de forme aplatie, pleine et arrondie rappelant l'extrémité d'une rame. et leurs os compacts prouvent qu’ils étaient des nageurs lents qui restaient à de faibles profondeurs. Puis, ils sont devenus des nageurs actifs ; leur queue allongée leur a permis de se propulser, leurs pattes sont devenues des palettes natatoires et leur squelette s’est allégé. Ces changements se sont effectués très rapidement, en seulement quelques millions d’années.  
 
Les reptiles marins occupaient-ils tous les échelons dans la chaîne alimentaire ? 
N. B. Parmi les quelque cinq cents espèces connues, il n’y en a qu’une qui mangeait des plantes aquatiques. Toutes les autres étaient carnivores, et mangeaient, selon les espèces, des coquillages, des crustacés, des poissons et pour les plus grands, d’autres reptiles marins. On avait essentiellement de petits prédateurs, de grands prédateurs et d’immenses prédateurs. Ils occupaient donc le sommet de la chaîne alimentaire.
 
Quelles sont les principales adaptations qui ont permis aux reptiles de conquérir la mer ?
P. V. La première, c’est de pouvoir se déplacer en milieu aquatique, d’être suffisamment agiles pour se nourrir et remonter à la surface pour respirer. Tous se sont adaptés à leur façon, même si on trouve des points communs. La plupart ont des membres qui se sont modifiés en palettes natatoires. La forme la plus hydrodynamique est celle des ichthyosaures, grands croiseurs que l’on retrouve dans toutes les mers. Ils étaient pour la plupart dotés d’un aileron dorsal et d’une queue bilobée comme celle des requins ou des thons actuels.

Mâchoires aux dents acérées comme des couteaux, le palais garni de dents recourbées comme des crochets, le Mosasaurus était un redoutable mégaprédateur.
Mâchoires aux dents acérées comme des couteaux, le palais garni de dents recourbées comme des crochets, le Mosasaurus était un redoutable mégaprédateur.

Quelles autres modifications ont-ils subies ?
N. B. On retrouve toute une palette d’adaptations physiologiques, morphologiques et comportementales. En plus de ce que vient d’évoquer Peggy, il y a un exemple qui me plaît bien : les narines. Elles ne sont plus au bout du museau comme chez un reptile lambda, mais remontent vers le front. C’est la même évolution que chez les cétacés actuels : les évents des dauphins et des baleines sont en fait leurs narines.
 
P. V. Leur thermophysiologie a changé aussi. Les reptiles marins actuels sont cantonnés à des mers où la température est agréable. Or, certains reptiles du Mésozoïque se retrouvaient près des pôles. L’analyse des isotopesFermerAtomes possédant le même nombre de protons mais un nombre de neutrons différents. Ils ont donc des propriétés chimiques identiques mais des propriétés physiques différentes. Par exemple, le carbone 14, isotope du carbone, est radioactif et est utilisé dans des techniques de datation. stables de l’oxygène des os montre qu’ils pouvaient avoir une température corporelle élevée, jusqu’à 35 ou 36 °C pour les plésiosaures et les ichthyosaures.
 
A. H. Ces résultats sont en adéquation avec ceux obtenus à partir de l’analyse de la nature de leurs tissus osseux, qui constitue également un bon indicateur de physiologie puisqu’elle varie selon si les animaux sont à sang froid ou à sang chaud. On reconnaît les os à croissance lente, qui appartiennent à des espèces au métabolisme peu actif, et les os à croissance rapide, chez les animaux capables de produire de la chaleur corporelle. Les os des ichthyosaures et des plésiosaures ont, sur cet aspect, des caractéristiques proches de celles des oiseaux et des mammifères et témoignent donc d’un métabolisme très actif.
 
C’est étonnant. On pense toujours aux reptiles comme des animaux à sang froid…
N. B. C’est vrai, mais prenez un ichthyosaure qui traversait d’immenses étendues océaniques. Il ne pouvait pas attendre comme un lézard de se réchauffer au soleil tous les matins avant d’être actif !
 
Et pour la reproduction, quelles furent les adaptations ?
N. B. De nombreux reptiles terrestres sont ovipares : ils pondent des œufs. Mais, dans l’immensité de l’océan, c'est compliqué. Les grands reptiles marins ne peuvent pas revenir sur la plage pour pondre car ils risqueraient de s'échouer comme les baleines. Et pondre seulement quelques œufs à coquille dure dans l'eau n'est pas viable non plus. Les reptiles marins ont alors développé un type de viviparité où il n’y a plus d’œuf mais où le petit sort entièrement formé du ventre de sa mère. Cette viviparité est acquise très vite. Grâce à des fossiles exceptionnels, on a pu voir que chez les premiers ichthyosaures du Trias, le petit sortait la tête la première. Mais en milieu aquatique, ce n’est pas idéal car, le temps que le reste du corps sorte, il peut se noyer. Chez les ichthyosaures plus tardifs, c’est la queue qui sort en premier, comme chez les cétacés actuels. Je trouve ce changement de mode de reproduction extraordinaire !

Fossile exceptionnel d’une femelle ichthyosaure et de son embryon expulsé au moment de la mort (gisement d'Holzmaden, Allemagne).
Fossile exceptionnel d’une femelle ichthyosaure et de son embryon expulsé au moment de la mort (gisement d'Holzmaden, Allemagne).

Est-ce qu’ils élevaient leurs petits ?
N. B. Difficile à dire. Ces animaux sont si différents des reptiles actuels qu’on ne peut pas se fonder sur des comparaisons avec eux. Les hypothèses qui concernent le domaine comportemental sont difficiles à démontrer quand on travaille sur les fossiles.
 
P. V. Souvent la difficulté, c’est qu’on ne dispose que de très peu de fossiles. Pour les plésiosaures, nous n’avons qu’un seul squelette d’une maman avec l’embryon dans le ventre, il est donc difficile de généraliser. Mais on peut imaginer que, si elle n’en avait qu’un, alors elle devait s’en occuper plus intensément. Cette idée repose sur les modèles hypothétiques de stratégies reproductives : selon la stratégie R, on « mise » sur le nombre, et selon la stratégie K, on a au contraire peu de petits dont on s’occupe beaucoup.
 
A. H. Une étude récente sur la structure d’os d’un embryon de plésiosaure suggère d’ailleurs qu’ils donnaient naissance à un seul petit de grande taille.
 
Il y a 66 millions d’années survient la chute d’une météorite, qui signe la fin des dinosaures et la crise Crétacé-Tertiaire. Qu’est-ce que cela provoque parmi les reptiles marins ?
P. V. Il y a effectivement de grands bouleversements à la fin du Crétacé. Avant cette chute de météorite, débute également une très forte activité volcanique en Inde, deux phénomènes qui ont secoué la planète. Tous les reptiles n’ont pas réagi de la même manière. Certains ont disparu, comme les plésiosaures et les mosasaures, et d’autres ont passé la crise, comme les tortues et les crocodiles. Ce qu’il faut étudier, c’est l’état des populations avant la crise, pour voir si les groupes se sont éteints de manière graduelle ou si ça a été comme un coup de massue. Ce que l’on voit dans le registre fossile, c’est que les populations de mosasaures et de plésiosaures étaient réparties sur tout le globe et étaient très diversifiées juste avant la crise. On pense donc à une extinction brutale.
 
Est-ce que l’on sait pourquoi certains survivent et d’autres pas ?
N. B. Les crises sont sélectives. La tendance est que les animaux plus petits et qui ne sont pas directement liés à la production primaire, les détritivores par exemple, résistent mieux. Mais il y a des contre-exemples, comme les tortues marines, chez qui on ne voit pas de chute de biodiversité. Dans l’état actuel de nos connaissances il est encore difficile de dire pourquoi certains survivent et d’autres pas aux extinctions de masse.

Avec long cou, l'Elasmosaurus stimule l'imagination : certains rêveurs croient l'avoir aperçu dans les eaux troubles du Loch Ness...
Avec long cou, l'Elasmosaurus stimule l'imagination : certains rêveurs croient l'avoir aperçu dans les eaux troubles du Loch Ness...

Pour finir, est-ce que, parmi cette diversité d’espèces éteintes, il y en a une qui vous tient plus à cœur ?
P. V. J’aime bien l’Elasmosaurus. C’est une espèce de plésiosaure avec un cou gigantesque. On voit une multiplication des vertèbres, il en a jusqu’à soixante-dix dans le cou, avec au bout une toute petite tête.
 
N. B. Pour moi, ce serait le Mosasaurus. C’est comme un lézard marin géant. Les plus petits de la même famille font trois mètres, les plus grands, comme lui, font quinze mètres. C’est Georges Cuvier, le père de la paléontologie, qui est le premier à les avoir décrits.
 
A. H. S’il faut choisir, je dirai les placodontes, animaux dotés d’une carapace, et qui n’ont pourtant aucun rapport avec les tortues. Tout porte à croire que c’étaient des animaux lents, lourds, qui se traînaient sur le fond et se nourrissaient de coquillages. Pourtant, quand on regarde leurs os, on voit une croissance rapide suggérant un métabolisme élevé. Il y a là quelque chose qui cloche, un mystère. S’il fallait en ressusciter un, je choisirai un placodonte car je ne les comprends pas. ♦

À lire
La mer au temps des dinosaures, N. Bardet, A. Houssaye, S. Jouve et P. Vincent, Belin, Hors collection Sciences, septembre 2021, 208 pages, 26 euros.

Notes
  • 1. Directrice de recherche au CNRS, au Centre de recherche en paléontologie - Paris (CNRS/MNHN/Sorbonne Université).
  • 2. Directrice de recherche au CNRS, au laboratoire Mécanismes adaptatifs et évolution (CNRS/MNHN).
  • 3. Chercheuse CNRS au Centre de recherche en paléontologie - Paris (CNRS/MNHN/Sorbonne Université).

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